A rebours (1884)"À en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille des Floressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d’athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres. Serrés, à l’étroit dans leurs vieux cadres qu’ils barraient de leurs fortes épaules, ils alarmaient avec leurs yeux fixes, leurs moustaches en yatagans, leur poitrine dont l’arc bombé remplissait l’énorme coquille des cuirasses.Ceux-là étaient les ancêtres ; les portraits de leurs descendants manquaient ; un trou existait dans la filière des visages de cette race ; une seule toile servait d’intermédiaire, mettait un point de suture entre le passé et le présent, une tête mystérieuse et rusée, aux traits morts et tirés, aux pommettes ponctuées d’une virgule de fard, aux cheveux gommés et enroulés de perles, au col tendu et peint, sortant des cannelures d’une rigide fraise.Déjà, dans cette image de l’un des plus intimes familiers du duc d’Épernon et du marquis d’Ô, les vices d’un tempérament appauvri, la prédominance de la lymphe dans le sang, apparaissaient.La décadence de cette ancienne maison avait, sans nul doute, suivi régulièrement son cours ; l’effémination des mâles était allée en s’accentuant ; comme pour achever l’œuvre des âges, les des Esseintes marièrent, pendant deux siècles, leurs enfants entre eux, usant leur reste de vigueur dans les unions consanguines.De cette famille naguère si nombreuse qu’elle occupait presque tous les territoires de l’Île-de-France et de la Brie, un seul rejeton vivait, le duc Jean, un grêle jeune homme de trente ans, anémique et nerveux, aux joues caves, aux yeux d’un bleu froid d’acier, au nez éventé et pourtant droit, aux mains sèches et fluettes.Par un singulier phénomène d’atavisme, le dernier descendant ressemblait à l’antique aïeul, au mignon, dont il avait la barbe en pointe d’un blond extraordinairement pâle et l’expression ambiguë, tout à la fois lasse et habile. (...)"
mercredi 9 juin 2010
Des Esseintes
mardi 8 juin 2010
En guise d'introduction
Ces dernières années ont vu un regain d'intérêt pour un courant littéraire des plus audacieux : la littérature décadente.
Décadence. Le terme charrie des représentations obscures propices aux fantasmes.
Les forts en thèmes se souviendront des lettres faisandées d'un Pétrone, quintessence d'un empire romain en déliquescence.
Les férus de théories politico-scientifiques se rappelleront que les civilisations comme les espèces meurent de leur incapacité à mobiliser leurs ressources vitales pour survivre.
La littérature "fin-de-siècle" naît d'un reniement.
Le naturalisme par son zèle à décrire objectivement ce qu'il considère être la réalité, y compris dans ses aspects les plus prosaïques et triviaux, conduit Huysmans à chercher une issue à l'impasse naturaliste.
Il y emploie tout son art dans le bréviaire de toute littérature décadente à venir : A Rebours (1884). Ce titre, évocateur d'un processus opposé au flux naturel, inaugure un courant littéraire protéiforme habité par les voluptés les plus affinées, les perversions les plus révoltantes, la folie, le mal, la mort, que seule une solitude de monstre enfante.
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